À perte de vue

 

Quand on était entré dans les hautes herbes bordant la rive, juste à la minute subtile où les dernières traces de jour s’engloutissaient dans une nuit d’encre, on avait vu des essaims de lucioles s’envoler des herbes des deux berges vers le mitan du ruisseau en décrivant, à très faible hauteur, des arcs de cercle pareils aux crosses des graminée géantes. Aussi loin que portât le regard, tout au long de la ligne du ruisseau, à perte de vue, jusqu’à l’infini, ce n’était qu’entrecroisement de vols surgis des deux rives.

Bruine de neige, Junichirô Tanizaki

 
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Entre les deux rives

 
Hiroshige ( 1797-1858 ) 

Hiroshige ( 1797-1858 ) 

かたまるや散るや蛍の川の上 
Katamaru ya chiru ya hotaru no kawa no ue

 

Se rassemblent
    Puis se dispersent
        Les lucioles sur la rivière

            Sôseki (1867-1916)

 
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La rivière aux lucioles

Dans ce court roman, Tatsuo, accompagné de sa mère et de son grand père, emmène Eiko son amie d’enfance à la chasse aux lucioles. Après une longue marche, ils parviennent au bord d’une rivière…

Le sentier faisait une courbe dans la même direction. Après l’avoir passée, lorsqu’ils eurent sous les yeux la rivière qui miroitait au clair de lune, ils restèrent là, sans rien dire, médusés. ( ... ) Les quatre promeneurs étaient figés sur place, et le restèrent longtemps.(...)

— Si on allait en bas, à côté ? dit Tatsuo à la fillette.

— Non ! Moi, je veux pas. Ça me suffit de les regarder d’ici.

— Ta’chan, arrête ! Je t’en prie, n’y va pas !

Tout en lui murmurant plusieurs fois la même prière, elle finit par le suivre. De plus près, on voyait les petites lueurs ondoyer en couches superposées. À l’instant où l’on croyait qu’elles allaient vibrer de lumière, elles s’éteignaient progressivement, comme si toute énergie les avait quittées.(…)

C’était à peine s’il distinguait à ses côtés le visage d’Eiko (…) Il voulut lui parler, mais les mots lui manquèrent. Se laissant aller à la chaude émotion qui l’envahissait, il respirait l’odeur de la fillette. Alors un coup de vent agita les arbres du bosquet, élevant en tourbillons les lucioles qui reposaient au bord de la rivière. Leur lumière s’abattit sur eux tel un paquet d’embruns. Eiko se tortilla en poussant de petits cris.

— Tat’chan, je veux pas que tu regardes…

À moitié en larmes, elle releva à deux mains le bas de sa jupe et la secoua vigoureusement autour de sa taille.

— Tourne-toi, je te dis ! Une masse de flocons lumineux l’avait enveloppée tout d’un coup, lui entrant par le haut du corsage et par-dessous la jupe. La blancheur de sa peau ainsi illuminée se détacha dans l’ombre. Retenant son souffle, Tatsuo ne quittait plus Eiko des yeux. L’essaim de lucioles déferlait en vagues bourdonnantes. Tatsuo ne savait plus si c’étaient les insectes ou les eaux de la rivière qui bourdonnaient ainsi. Il lui sembla qu’en fait, ces nuées de lucioles, dont personne n’aurait pu dire d’où elles étaient venues pour s’amasser ici, étaient en train de naître sous ses yeux en un flot continu sorti de quelque endroit secret du corps de la fillette.

Teru Miyamoto, La rivière aux lucioles, 1977*

* Editions Philippe Piquier, traduit par Philippe Deniau

Lucioles et lunes

この螢田毎の月にくらべみん   
Kono hotaru tagoto no tsuki ni kurabemin

Ces lucioles 
     Telles des reflets de lunes
         Dans chaque rizière en terrasse

Bashô (1644-1694)

 

Hiroshige

Hiroshige

Le poète Bashô, à la vue magnifique des lucioles reflétées sur la rivière Seta, pense à la célèbre rizière en terrasse de Ubasute à Nagano...

 

 

Lignes de la main

 

蛍来てともす手相の迷路かな
Hotaru kite tomosu tesô no meiro kana

 

Une luciole se pose
      Sur la main, éclaire
           Les lignes du labyrinthe

Terayama Shûji (1935-1983)