La rivière aux lucioles

Dans ce court roman, Tatsuo, accompagné de sa mère et de son grand père, emmène Eiko son amie d’enfance à la chasse aux lucioles. Après une longue marche, ils parviennent au bord d’une rivière…

Le sentier faisait une courbe dans la même direction. Après l’avoir passée, lorsqu’ils eurent sous les yeux la rivière qui miroitait au clair de lune, ils restèrent là, sans rien dire, médusés. ( ... ) Les quatre promeneurs étaient figés sur place, et le restèrent longtemps.(...)

— Si on allait en bas, à côté ? dit Tatsuo à la fillette.

— Non ! Moi, je veux pas. Ça me suffit de les regarder d’ici.

— Ta’chan, arrête ! Je t’en prie, n’y va pas !

Tout en lui murmurant plusieurs fois la même prière, elle finit par le suivre. De plus près, on voyait les petites lueurs ondoyer en couches superposées. À l’instant où l’on croyait qu’elles allaient vibrer de lumière, elles s’éteignaient progressivement, comme si toute énergie les avait quittées.(…)

C’était à peine s’il distinguait à ses côtés le visage d’Eiko (…) Il voulut lui parler, mais les mots lui manquèrent. Se laissant aller à la chaude émotion qui l’envahissait, il respirait l’odeur de la fillette. Alors un coup de vent agita les arbres du bosquet, élevant en tourbillons les lucioles qui reposaient au bord de la rivière. Leur lumière s’abattit sur eux tel un paquet d’embruns. Eiko se tortilla en poussant de petits cris.

— Tat’chan, je veux pas que tu regardes…

À moitié en larmes, elle releva à deux mains le bas de sa jupe et la secoua vigoureusement autour de sa taille.

— Tourne-toi, je te dis ! Une masse de flocons lumineux l’avait enveloppée tout d’un coup, lui entrant par le haut du corsage et par-dessous la jupe. La blancheur de sa peau ainsi illuminée se détacha dans l’ombre. Retenant son souffle, Tatsuo ne quittait plus Eiko des yeux. L’essaim de lucioles déferlait en vagues bourdonnantes. Tatsuo ne savait plus si c’étaient les insectes ou les eaux de la rivière qui bourdonnaient ainsi. Il lui sembla qu’en fait, ces nuées de lucioles, dont personne n’aurait pu dire d’où elles étaient venues pour s’amasser ici, étaient en train de naître sous ses yeux en un flot continu sorti de quelque endroit secret du corps de la fillette.

Teru Miyamoto, La rivière aux lucioles, 1977*

* Editions Philippe Piquier, traduit par Philippe Deniau

Danse macabre

 

Sous leurs yeux, des myriades de lucioles ondulaient en vagues silencieuses au bord de la rivière. Et cette vision n’avait rien de la splendide et féerique image à laquelle, tous, ils s’attendaient. Danse macabre et solitaire d’atomes noctiluques, le nuage de lucioles déposait, comme au creux d’une cascade, une lueur remplie d’un insondable écho de silence et de mort ; et dans un dégradé de plus en plus ténu, il s’élevait en froides étincelles, toujours plus haut vers le firmament.

Teru Miyamoto, La Rivière aux lucioles, 1977

Editions Philippe Picquier, 1991, traduction Philippe Deniau

 
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Un étonnant passage, où cet " insondable écho de silence et de mort" est bien loin de l'univers poétique attendu...
Pourtant c'est bien cette sensation de peur qui m'envahit devant l'eau noire au-dessus de laquelle les petites lueurs s'agitent dans le silence. Et lorsque toutes ces lueurs se mettent à clignoter puis à s'éteindre en même temps comme la respiration d'un être invisible, mon sentiment d'effroi est à son paroxysme...
"Caprice" de mon imagination ? Est-ce l'invisible Narcisse, disparu dans les eaux noires, que veille la nymphe Echo de ses larmes lumineuses... 

Cela me fait penser à un tableau de Poussin que j'ai vu pour la première fois à Londres, plus exactement à une partie du tableau. En bas à gauche dans une zone noire, on découvre au bord de l'eau un homme mort...

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)