Eloge du silence

 

音もせで思ひにもゆる蛍こそなく虫よりもあはれなりけれ
Oto mo sede omohi ni moyuru hotaru koso  naku mushi yori mo awarenari keri

 

Une luciole qui brûle
            D’amour en silence
       Est plus émouvante
                 Qu’un insecte qui chante

Minamoto no Shigeyuki ( ? -1000)

 
Oritsumedake1601.jpg

Trois Lucioles

Kimono.JPG

En sortant du sanctuaire Izumo-taisha, on entre dans dans un petit restaurant pour déguster des Izumo-soba, nouilles au sarrasin, une spécialité de la région. Au fond de la salle, trois jeunes filles en kimono en train de choisir leur menu attirent nos regards par la beauté de la  scène... Toutefois, j'ai le sentiment que les kimonos d'aujourd'hui très colorés et voyants sont différents de ceux de mon temps. Ils sont au goût d'aujourd'hui sans doute. On trouvait plutôt ce genre de motifs sur les Yukata, kimonos légers du soir en coton. Dans la lumière du soir, les parures de ces trois jeunes filles devraient être encore plus sensuelles et lumineuses.

 

Un trait lumineux traversa obliquement l’obscurité de la pièce attenante... c’était une luciole égarée. Elle s’élevait avec légèreté jusqu’à cinq ou six pieds ; puis, les forces lui manquant, elle retombait ; traversant la pièce de biais, elle alla dans un coin se poser sur les kimonos de Sachiko, restés suspendus à leur cintre ; en se traînant parmi les motifs colorés du tissu, elle parut se glisser dans le creux d’une manche ; à travers le fin tissu gris bleuté, on entrevit un imperceptible lueur.

Tanizaki Junichirô, Bruine de neige

 

Sentinelles de la nuit

 

この山をよすがらまもり雨蛍  
Kono yama o yosugara mamori amebotaru 

 

Toute la nuit
        Les lucioles sous la pluie

              Gardent la montagne

Hara Sekitei (1886-1951)

 
Izumi1606.jpg

Survivance

 

Il y a tout lieu d’être pessimiste, mais il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête des lucioles. J'apprends qu'il y a toujours, vivantes de par le monde, deux mille espèces connues de ces petites bêtes ( classe : insectes, ordre : coléoptères, famille : lampyres). Certes, comme le notait Pasolini*, la pollution des eaux à la campagne les font dépérir, la pollution de l'air en ville aussi. On sait également que l'éclairage artificiel — les lampadaires, les projecteurs — perturbe considérablement la vie des lucioles comme de toute les autres espèces nocturnes.

Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, p. 41, Editions de Minuit, 2009

 

* Pasolini, L'article des lucioles

Watazu1604.jpg

Danse macabre

 

Sous leurs yeux, des myriades de lucioles ondulaient en vagues silencieuses au bord de la rivière. Et cette vision n’avait rien de la splendide et féerique image à laquelle, tous, ils s’attendaient. Danse macabre et solitaire d’atomes noctiluques, le nuage de lucioles déposait, comme au creux d’une cascade, une lueur remplie d’un insondable écho de silence et de mort ; et dans un dégradé de plus en plus ténu, il s’élevait en froides étincelles, toujours plus haut vers le firmament.

Teru Miyamoto, La Rivière aux lucioles, 1977

Editions Philippe Picquier, 1991, traduction Philippe Deniau

 
Otomi1704.jpg

Un étonnant passage, où cet " insondable écho de silence et de mort" est bien loin de l'univers poétique attendu...
Pourtant c'est bien cette sensation de peur qui m'envahit devant l'eau noire au-dessus de laquelle les petites lueurs s'agitent dans le silence. Et lorsque toutes ces lueurs se mettent à clignoter puis à s'éteindre en même temps comme la respiration d'un être invisible, mon sentiment d'effroi est à son paroxysme...
"Caprice" de mon imagination ? Est-ce l'invisible Narcisse, disparu dans les eaux noires, que veille la nymphe Echo de ses larmes lumineuses... 

Cela me fait penser à un tableau de Poussin que j'ai vu pour la première fois à Londres, plus exactement à une partie du tableau. En bas à gauche dans une zone noire, on découvre au bord de l'eau un homme mort...

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)