Lueurs dans les ténèbres

 

À songer qu’au cœur des ténèbres tandis que dans son lit elle reposait les yeux fermés, les lucioles au bord du ruisseau apparaissaient et disparaissaient la nuit durant, sans bruit, dans la confusion de leurs vols sans nombre, cette évocation la plongeait dans un état d’esprit indiciblement romantique ; comme si, cédant au sortilège, son âme se mêlait aux essaims des lucioles, tantôt rasant, tantôt fuyant la surface de l’eau, dans un bercement continu…

Junichirô Tanizaki, Bruine de Neige*, le livre III, chapitre IV

 

La tonalité du chapitre IV de ce roman de Tanizaki est très différente des autres chapitres. Je pourrais l'intituler « Lucioles » comme celui du Dit de Genji, le chef-d’œuvre de Murasaki Shikibu auquel Tanizaki venait de consacrer cinq années pour le traduire en japonais moderne. Il y dépeint les lueurs des lucioles comme des lueurs de résistance dans un univers nocturne. En effet, le roman a été écrit sous la censure militaire japonaise qui accusait l'auteur d’« un inadmissible individualisme » au moment où « la situation militaire ( était ) des plus préoccupantes ».  Ce n’est qu’en 1948 que le roman sera publié.

 

* Editions Gallimard, 1998, traduit par Marc Mécréant

Rivière Kadowasa

Depuis Takayama, nous arrivons dans une ville thermale Gero-onsen. En quête des lucioles à 20 km de là, on quitte la N4 pour prendre une petite route en lacets qui longe la rivière Kadowasa, classée et protégée pour ses lucioles depuis1964. On fait quelques allers-retours sur une distance de 4 km pour tenter de trouver où s'arrêter. La nuit est sur le point de tomber quand un habitant nous indique un endroit plus précis. À peine installés,  on voit les premières lucioles voltiger devant les silhouettes noires des cèdres. Les lucioles Genji s’allument et s’éteignent en cadence, certaines volent très haut… c’est féérique.

 
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Dit du Genji

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Le Ministre alors s’approcha et releva l’un des pans du rideau ; au même instant une lueur se répandit. Avait-on allumé une torche ? se demanda-t-elle, atterrée. Or c’était des lucioles qu’il avait, ce soir-là, enfermées en grand nombre dans l’étoffe mince, en la repliant de façon à dissimuler les feux, et qu’il venait, sans en avoir l’air, de relâcher en feignant d’arranger le rideau. Confuse de se voir ainsi subitement exposée à la lumière, elle s’était caché le visage de son éventail, offrant à la vue un profil d’une grâce exquise.

Murasaki Shikibu (973-1025?), Le dit du Genji, chapitre « Les Lucioles »

 

Traduction de René Sieffert, Publications Orientalistes de France, Paris, 1988 

 
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Herbes folles...

Ce soir, nous sommes seuls devant les rizières de Ota-san, l'équipe TV est partie. Je cadre le talus d'herbes folles au centre en espérant y voir surgir l'envol des lucioles Heike comme une poussière d'étoiles montant vers le ciel. C'est le dernier soir à Watazu. Au moment de nous quitter, Ota-san nous prépare 2 paquets de riz sous vide de 10kg !  Il va falloir acheter une nouvelle valise.

 
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Envols

 

草の葉を落つるより飛ぶ蛍かな
Kusa no ha o otsuru yori tobu hotaru kana

 

Tombée d'un brin d'herbe
    Elle s'envole à nouveau
        Ah !  la luciole

           Bashô (1644-1694)

 
Watazu,  juin 2017

Watazu,  juin 2017