Riz des lucioles

Retour à Ota farm, munis de bottes et de clochettes qu'on a achetées le matin même pour faire peur aux ours. On se poste dans les herbes folles, les pieds dans l'eau, pour attendre les lucioles Heike. Mais seules quelques lucioles apparaissent. C’est un peu la fin de la saison et la prise de vue aura été brève. Et c'est aussi le moment des adieux. Ota-san nous invite pour prendre un thé avant que nous ne reprenions la route. Il nous avait préparé deux gros paquets de 10 kg de Hotaru-maï, le riz de lucioles !

 
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Retour à Watazu

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Retrouvailles chaleureuses avec Ota-san. Nous lui avons apporté du saucisson d'Auvergne, un vin du Médoc et une photo de ses lucioles prise l'année dernière. À18h30, on s’installe devant ses rizières au pied des montagnes embrumées. Pour la prise de vue, on choisit le côté de la montagne pour les Genji et le bord des rizières pour les Heike. Il fait déjà nuit quand on entend un énorme craquement de branches dans la forêt proche. Est-ce un cerf, un singe, un ours ? Ota-san nous dit de faire du bruit pour faire peur aux ours... On continue tout de même à photographier dans le noir en parlant fort, en chantant à tue tête et en poussant des cris.

 
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Danse macabre

 

Sous leurs yeux, des myriades de lucioles ondulaient en vagues silencieuses au bord de la rivière. Et cette vision n’avait rien de la splendide et féerique image à laquelle, tous, ils s’attendaient. Danse macabre et solitaire d’atomes noctiluques, le nuage de lucioles déposait, comme au creux d’une cascade, une lueur remplie d’un insondable écho de silence et de mort ; et dans un dégradé de plus en plus ténu, il s’élevait en froides étincelles, toujours plus haut vers le firmament.

Teru Miyamoto, La Rivière aux lucioles, 1977

Editions Philippe Picquier, 1991, traduction Philippe Deniau

 
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Un étonnant passage, où cet " insondable écho de silence et de mort" est bien loin de l'univers poétique attendu...
Pourtant c'est bien cette sensation de peur qui m'envahit devant l'eau noire au-dessus de laquelle les petites lueurs s'agitent dans le silence. Et lorsque toutes ces lueurs se mettent à clignoter puis à s'éteindre en même temps comme la respiration d'un être invisible, mon sentiment d'effroi est à son paroxysme...
"Caprice" de mon imagination ? Est-ce l'invisible Narcisse, disparu dans les eaux noires, que veille la nymphe Echo de ses larmes lumineuses... 

Cela me fait penser à un tableau de Poussin que j'ai vu pour la première fois à Londres, plus exactement à une partie du tableau. En bas à gauche dans une zone noire, on découvre au bord de l'eau un homme mort...

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)

Nicolas Poussin, Paysage avec un homme tué par serpent, 1648. (détail)

Lucioles au miroir

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Matsue-san vient chaque soir contempler « ses » lucioles et nous rejoint devant ses rizières à Otomi. Je m'installe le long du muret pour cadrer la rivière.  Des centaines de petites grenouilles s'y agitent. Dans le noir, on entend le coassement d'autres grenouilles dans les riz!ères comme un accompagnement musical du spectacle silencieux des lucioles. Dans leur vol quelque peu narcissique, elles se mirent sur les eaux noires de la rivière.

 
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Bataille des lucioles

Luciole "Genji" et luciole "Heike" sont des noms vernaculaires. Les japonais les appellent ainsi en les comparant aux deux clans rivaux de samuraï de l'époque Heian. Le clan Taira (Heike) est le premier clan de samuraï, au milieu du XIIe siècle, à avoir pris le pouvoir dans le pays à la place des nobles, avant d'être battu, en 1185 dans la célèbre bataille de Dan-no-ura, par le clan Minamoto (Genji) qui prend le pouvoir et installe son gouvernement à Kamakura.

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Parmi les 2000 espèces de lucioles répertoriées dans le monde, il n'y a que 8 espèces aquatiques. Et au Japon, parmi ces 8, il y en a deux, les Heike et le Genji.

Matsue-san me guide vers un endroit où, entre la rivière et la rizière, on peut voir les deux lucioles en même temps. Dans le désir d'assister à la bataille, j'y installe mes appareils. Mais, à la nuit tombée, je dois me déplacer pour changer le cadrage car j'aperçois les traces des phares de voitures au milieu des images...

 
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